La fonction compensatrice de l’illusion – la corruption par le mensonge

L’illusion neptunienne exerce une fonction de compensation. Elle a pour objectif de rendre le réel moins abrupt et porte une dimension consolatrice importante : les filtres d’illusion permettent de supporter certains moments difficiles de l’existence, de mettre un peu de guimauve, une espèce de baume réconfortant. Cette fonction est utile pour atténuer la rugosité de certaines expériences, tant qu’on n’en est pas dupe.

L’illusion sert aux personnes pour bâtir leur vision d’elle-même, leur estime de soi, leur légende personnelle. À ces fins elle va se caler sur un idéal à atteindre, qui va servir d’objectif ; le risque étant de croire être arrivé avant d’avoir parcouru le sentier…

L’illusion sert à masquer les motifs inavouables (à soi-même en premier lieu) derrière un motif moralement acceptable et/ou valorisé socialement afin de préserver son honorabilité et sa dignité. L’être humain a une grande capacité à se fourvoyer lui-même, à se mentir sur ce qu’il comprend de ses désirs et de ses motivations. D’aller habiller ses motivations d’un discours ou d’un récit pour les rendre légitimes, pour les valoriser vis-à-vis de lui-même et de l’extérieur et ainsi travestir et cacher le vrai motif sous-jacent.

L’illusion est un espace où les personnes s’investissent parfois affectivement de manière intense et très réelle pour elles, notamment quand elles sont en quête amoureuse et pleines d’espoir, alors même que la relation n’existe pas vraiment, ou bien que le partenaire ne s’investit pas de manière réciproque relationnellement.

L’illusion a un côté opératif : parfois nos croyances, même si elles ne sont pas corrélées au réel, sont fonctionnelles. Par exemple, si je me crois en sécurité, quand bien même je ne le suis pas réellement, eh bien je vais être protégée de l’angoisse grâce à la croyance que je suis en sécurité. De la même manière, si je crois que je suis en sécurité parce que je suis en relation avec un homme qui me protège, quand bien même cet homme ne me protège pas réellement, la croyance est fonctionnelle et me sécurise, et potentiellement quand la relation s’arrête survient une grosse crise d’insécurité car j’avais fondé mon sentiment de sécurité sur cette relation.

L’illusion est capable de procurer de la satisfaction ! La psyché peut trouver du contentement dans le récit imaginaire et fantasmatique, même sans corrélation dans le réel. C’est un palliatif.

Les mensonges de l’illusion sont le résultat d’adaptations et de réponses psychiques données au fur et à mesure de l’expérience, et qui s’encastrent les uns dans les autres en un sac de nœuds enfermant l’être loin du réel.

Tout cela crée un tissu de mensonges dont la personne se vêt, souvent sans en avoir pleine conscience, mais qui va la corrompre insidieusement, entraver son évolution humaine et spirituelle et détériorer la qualité réelle de sa vie.

Le viol de Méduse par Neptune dans le mythe de Persée peut à un certain niveau être compris comme un viol psychique, quand l’illusion mensongère prend trop de place dans le système de la personne, et qu’elle va de ce fait créer trop de mensonge et conséquemment ouvrir la porte au mal. Il faudra ensuite la force et le courage de Persée aidé des Dieux pour trancher le mal, vaincre la déferlante émotionnelle et délivrer l’énergie sublimée symbolisée par la naissance de Pégase.

LA PRUDENCE S’IMPOSE !

J’ai à cœur de prévenir les thérapeutes et accompagnants d’être prudents dans leurs consultations ces prochaines semaines et ces prochains mois.

Les bénéfices des illusions compensatrices expliquent pourquoi les personnes sont si attachées à leurs récits même mensongers. Les illusions ont un rôle dans l’équilibre, dans le fait de supporter le réel médiocre, par l’image qu’on entretient de soi, par le faux-self qu’on projette à l’extérieur, par les fantasmes qui procurent des satisfactions fictives mais néanmoins efficaces, par l’écran de fumée qui voile la vérité pulsionnelle nue. Ça leur fait du bien, ça leur procure du réconfort (même si de l’extérieur et objectivement on voit que ce sont des mensonges qui construisent l’estime de soi sur du faux, sur un château de cartes). C’est un équilibre sur lequel elles se sont construites même si l’équilibre est bancal (de toute façon chez un humain l’équilibre est toujours provisoire et généralement bancal) et en cela il y a un attachement à leur récit et potentiellement, les personnes n’ont pas envie de remettre de la vérité là-dedans, que ce soit consciemment ou inconsciemment.

Il arrive que des personnes viennent consulter expressément pour se faire valider et conforter dans leurs mensonges bien plus que pour clarifier et rectifier leur regard…

Pourquoi il est périlleux de confronter les personnes à leurs mensonges ? à la fois parce qu’elles y tiennent, parce qu’elles peuvent en avoir honte, parce qu’elles s’illusionnent parfois elles-mêmes, et qu’en étant démasquées elles se sentent mises à nu et vulnérables, et puis le mensonge a eu un rôle à un moment donné dans l’histoire de la personne.

L’illusion qui se raconte est généralement la meilleure adaptation qui a été trouvée à un moment donné et qui s’est ensuite inscrite dans un récit qui perdure. Montrer l’illusion est donc aussi une remise en question de la solution qui avait été trouvée et validée par la personne. Donc, bien rappeler qu’une solution est valable à un moment donné mais qu’elle n’est pas forcément destinée à devenir pérenne et à pouvoir rester saine dans le temps, et qu’il est important de très régulièrement actualiser, confronter le réel et le rapport à la vérité, aux valeurs, et être capable de réviser ses croyances. Sans avoir honte ni dévaloriser ce qui avait été projeté ou cru auparavant, mais simplement le voir comme une étape à dépasser.

D’où la nécessité de percevoir les nuances, de comprendre que nous sommes tous en permanence dans des négociations internes, dans nos récits, dans nos consciences, que ce n’est jamais si tranché que tout blanc ou tout noir et que nous devons chercher la lucidité et la compréhension de nos fonctionnements afin de ne pas nous mentir à nous-même avant tout.

L’œuvre va consister à faire des allers-retours introspectifs entre le récit et le réel, et confronter le récit au réel petit à petit, à tous niveaux, avec les piliers vertueux de l’humour, l’humilité, l’honnêteté, l’audace, la persévérance, avec conscience de l’importance de vivre cette étape, qui en est une de bonification, d’assainissement, et qui va permettre de ne pas être dupe de soi-même.

Prudence donc pour les thérapeutes à tendance uranienne partisans radicaux de la Vérité, car les personnes qui se présentent avec leurs mensonges et leurs illusions n’ont généralement pas envie d’être débusquées à cet endroit-là ! Elles peuvent se mettre en résistance et en défense quand on confronte leurs récits au réel et qu’on les met face à leur mensonge ou leur duplicité.

La duplicité, c’est la soumission à deux lois, le double discours, l’ambivalence. Dès qu’on se trouve dans ces endroits-là, on sait qu’il y a quelque chose qui n’est pas correctement aligné ni parfaitement honnête, c’est un indice fort que le mal est en germe.

Mais pour soutenir l’élucidation il est fondamental d’accompagner le rythme et les autorisations des personnes et de ne rien forcer, en comprenant que ce sont des processus de résolution longs et complexes où la confiance et la douceur sont des alliés majeurs.

SI LES LUNES NOIRES SE DÉCLENCHENT

Dans la période qui s’en vient, potentiellement, ces illusions qui jouent un rôle dans l’adaptation compensée risquent de prendre une place plus importante et de créer du déséquilibre en essayant de s’imposer au premier plan, et soit se prétendre être le réel, générant du délire, soit apparaître soudain comme l’illusion qu’elles sont avec le risque que tout le château de cartes s’effondre. Moments tangents demandant beaucoup de tact et de délicatesse pour les thérapeutes et accompagnants.

Vigilance encore accrue si les lunes noires se déclenchent, car en ce cas la situation se complique.

D’une part, avec des lunes noires actives, pas conscientisées et qui vont focaliser sur le désir subconscient, le risque est l’installation de tout un discours délirant prenant le pas sur le réel, énormément de puissance mise à disposition pour essayer de satisfaire ce désir et de faire vivre ce délire, et derrière un ensemble de mauvais choix qui précipitent une chute.

D’autre part l’activation des lunes noires peut générer des situations où les personnes à la fois ne veulent pas savoir et en même temps sont fascinées et obsédées par cette zone, et de plus dotées d’une surcharge de puissance libérée par la libido qui s’anime qui peut se transformer en agressivité.

Être d’autant plus prudent que dans le cadre thérapeutique existent les mécanismes de transfert. La conjonction des lunes noires à l’éclipse de Soleil sera en Balance, ce qui nous indique que ce qui va travailler le plus est le rapport à l’autre, aux autres, à l’altérité. Dans des accompagnements suivis, le transfert s’installe (ainsi que le contre-transfert) donc il est important d’être bien en conscience afin de répondre adéquatement aux situations et de sécuriser au maximum le cadre.

Il sera donc nécessaire d’évaluer correctement l’état psychique des personnes et de mesurer sa propre capacité à accompagner si le déséquilibre est trop intense. Il n’est pas de la même nature d’accompagner quelqu’un jouissant de ses facultés lucides d’introspection et quelqu’un en crise de décompensation. Cela demande d’être formé spécifiquement et ne s’improvise pas.

POUR CONCLURE

Les illusions sont d’autant plus puissantes que les personnes les investissent affectivement et leur accordent du crédit, et encore davantage quand elles ont bâti leur image d’elles-mêmes et leur identité sur une illusion ; c’est donc une zone extrêmement délicate à investiguer et élucider. De manière pragmatique, il est primordial de ne rien forcer en ce domaine, surtout depuis l’extérieur. Quand les personnes sont mûres pour évoluer spirituellement et passer un cap de conscience et de vérité, elles entrent en un processus d’actualisation qui va leur permettre de confronter, d’élucider, de clarifier, d’assainir, de sublimer afin de renouveler leur regard sur elles-mêmes, sur le monde et sur la part qu’elles ont à accomplir dans l’œuvre humaine. C’est le travail d’Athéna en chacun de nous, elle qui vient soutenir Persée dans son épopée de résolution psychique.

Ensuite, cette phase accomplie, Neptune s’avère d’un grand soutien en activant les fonctions visionnaires de l’imaginal et en révélant l’univers symbolique adapté à ce renouveau de la conscience.

Véronique Rauzy